Cycle « Métropole productive et résilience territoriale »

2021

Cadrage scientifique

Le croisement entre un système économique et la structure de l’espace urbain est un sujet relativement complexe, remis en question à travers l’apparition de nouvelles formes de production dans les espaces métropolitains. Le capitalisme industriel, puis le capitalisme de type fordiste ont marqué l’organisation des métropoles à travers les lieux emblématiques de l’industrie faisant corps avec un territoire (Bilbao, Detroit, Manchester, Boulogne-Billancourt, entre autres exemples). Avec l’avènement d’une économie mondiale et globale, marquée par une très forte déterritorialisation, une segmentation des activités et des branches, l’ère post-fordiste a, quant à elle, généré nombre d’espaces désindustrialisés, de friches, d’espaces vacants en attente de nouvelle formes de vie et d’usages, parfois même patrimonialisés. Ces espaces sont régulièrement réinvestis sous l’effet de cette puissante capacité du capitalisme, que l’on peut également qualifier d’économie prédatrice, à se nourrir de ses propres crises. Aussi, constate de multiples exemples de recréation de valeur notamment via l’économie cognitive. Requalifications d’anciens entrepôts et hauts-lieux de l’industrie (Harvey, 2010 ; Rousseau, 2011) ou créations de cluster de hautes qualifications (comme Euratechnologie dans la métropole lilloise)1. À rebours, dans une logique souvent ascendante, mais récemment institutionnalisée, ces espaces peuvent également être réutilisés, voire « recyclés » par des processus propres à l’économie circulaire (Lemoigne, 2018 ; Delchet-Cochet, 2021). Evoquons Kalundborg au Danemark, régulièrement présentée comme un symbole de l’écologie industrielle, ou encore Groningen aux Pays-Bas ou Glasgow.

En parallèle, l’agriculture intensive a elle aussi subi de très forte mutations : industrialisation des productions, modernisation, intensification, croisant un système alimentaire de plus en plus globalisé de firmes de l’agro-alimentaire, explorant des formes nouvelles (OGM, cultures hors-sol, aquaponie…).

Enfin, la logistique est devenue elle-même un secteur à part entière, autonome, détaché des productions, fait de territoires de stockage (entrepôts) et de circuits de transports (corridors….) mais aussi de recomposition des rapports d’exploitation.

Dans un système globalisé, quelque soit la nature des biens, la chaîne production-distribution-consommation a connu une profonde dissociation de chacun de ses maillons : il est possible de produire des objets en Chine, de les transporter et stocker à Rotterdam, pour les consommer en Italie et en Espagne. Ce modèle productif qu’il soit manufacturier, agricole ou alimentaire, a été profondément touché par deux changements (chocs) majeurs.

Le premier est celui du « pic pétrolier » et plus largement de l’irruption du développement durable, un tel système fonctionnant indépendamment de toute considération quant au « coût environnemental » (empreinte) et fondé sur une matière première alimentant les échanges (pétrole) à bon marché. Le second est lié à des crises successives d’approvisionnements liées soit à des raisons géopolitiques (énergies) soit à des raisons sanitaires (covid) qui ont fait apparaître la très grande dépendance et la vulnérabilité des territoires quels qu’ils soient, sans aucune autonomie, même partielle. Il faudrait y ajouter une troisième crise, sociale quant à elle, issue des capacités de mobilisation d’un nouveau prolétariat précarisé et globalisé (Sassen, 2010) mais aussi atomisé (Abdelnour & Méda 2019) .

S’y ajoute une dernière donnée majeure dans l’intelligibilité des nouveaux modes de production : la « disruption » ou court-circuit des filières et domaines classiques de production, leur fragmentation extrême, et l’individualisation de certains segments de production parfois revendiquée (mouvement « makers » : Berrebi-Hoffmann, Lallement, 2018 ; Crawford, 2010 ; Ambrosino, Guillon, Talandier, 2018) et accompagnée par des innovations technologiques. Cette transformation partielle de certaines formes de production rejoignant des mutations introduites dans le monde du travail et l’irruption du modèle (précaire) de l’indépendant.

Actuellement, les tentatives de restabilisation d’un capitalisme en apparence liquide s’expriment à travers certains maîtres-mots comme la relocalisation, la démondialisation, la reterritorialisation. Ces conditions structurelles en changement, recroisent de fait toute une large gamme de dynamiques sociales, de pratiques émergentes à travers les expérimentations hétérogène issues de la transition socio-écologique engagées « à bas bruit » depuis plusieurs décennies maintenant. Ces expérimentations explorent les voies de milieux urbains locaux résilients. De nouveaux modèles et petits systèmes locaux productifs commencent à être explorés, non en substitution des méga-systèmes globalisés, mais plutôt en amorces de « recircularisation » de formes de production : réintroduction de l’industrie dans la ville (usine 4.0), circuits-courts, agriculture nourricière et potagère, drive fermiers, plate-forme de matériaux (upcycling)… Sans doute négligeables sous leur dimension quantitative, ces petits modèles résilients locaux s’appuient sur des ressources présentes sur les territoires et peuvent avoir un très fort impact dans les représentations de la métropolisation autant que des effets non négligeables dans la reconfiguration des divisions sociale de l’espace (« gentrification rurale… »)

Autour de ces différents sujets, le cycle de conférences est l’occasion d’entendre et de faire dialoguer des spécialistes de différentes disciplines sur des questions de recherche liées aux formes renouvelées de production dans le cadre des espaces métropolitains et à la résilience des territoires qui permettent d’apporter un éclairage à l’action publique locale et aux étudiant·es des différentes formations liées aux questions urbaines. Parmi ces thématiques, évoquons comme centrales celles relatives à la logistique (en termes de zonage et de transports, par exemple), à la mixité fonctionnelle et au renouvellement des lieux de production, aux risques et vulnérabilités et aux évolutions sociales subies par les travailleuses et travailleurs ayant des répercussions spatiales et urbaines significatives (ubérisation, développement des emplois industriels hors du secteur productif, entre autres).

Les différent·es intervenant·es invité·es nous proposeront donc des regards complémentaires sur la métropole productive pour répondre aux questions majeures la concernant : quelles sont les mutations actuelles du secteur industriel et, plus globalement, du système post-fordiste et quel impacts urbains supposent-elles ? comment les acteurs publics et privés réfléchissent-ils à ces mutations et comment les prennent-ils en compte ? la métropole productive est-elle une métropole habitable ? Quel risques, vulnérabilités et possibilités de résilience pour la métropole productive du 21e siècle ?

Bibliographie

AMBROSINO Charles, GUILLON Vincent et TALANDIER Magali, « Résiliente, collaborative et bricolée. Repenser la ville créative à « l’âge du faire » », Géographie, économie, société, vol. 20, no. 1, 2018, pp. 5-13.

ABDELNOUR Sarah MEDA Dominique, Les nouveaux travailleurs des applis, éditions PUF, La vie des idées, 2019

BERREBI-HOFFMANN Isabelle, LALLEMENT Michel, Makers – Enquête sur les laboratoires du changement social, éditions du Seuil, 2018

CROWFORD B. Matthew, Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, éd. La Découverte, 2010, 252 p.

DELCHEY-COLCHET Karen, Économie circulaire : de la réduction des déchets à la création de valeur, éditions ISTE, 2020

HARVEY David, Géographie et capital : Vers un matérialisme historico-géographique (trad. de l’anglais), Paris, Syllepse, 2010, 280 p. 

LE MOIGNE Rémy, L’économie circulaire. Stratégie pour un monde durable, Dunot, 2018, 2e édition, 240p.

ROUSSEAU Max, Vendre la ville (post)industrielle. : Capitalisme, pouvoir et politiques d’image à Roubaix et à Sheffield (1945-2010) /; sous la direction de Joseph Fontaine et de Gilles Pinson / , 2011

SASSEN SASKIA, « Mondialisation et géographie globale du travail », in. FALQUET Jules, et al. Le sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du travail. Presses de Sciences Po, 2010, pp. 27-42

1 dont la pérennité interroge car répondant à des segments à haute valeur ajoutée sur une période donnée (cf. bulle internet des années 2000), d’une part, et révélant de forts décrochages entre les types d’emploi générés hautement qualifiés et les compétences présentes sur les territoires d’implantation, d’autre part.